Dheepan (Jacques Audiard, 2015)
À première vue la Palme d’or de Cannes 2015 est un coup de massue dans l’inertie du cinéma français. Un réalisateur côté, un sujet sensible, des acteurs inconnus, un filmage au plus près du sujet, caméra dans le dos dans certains plans à la manière de La Loi du marché pour immerger le spectateur dans un environnement hostile (au début du film la jungle sri-lankaise et un camp de réfugiés, ensuite une cité en France). Seules les dernières images dans un quartier cossu en Angleterre contiennent des couleurs chatoyantes, illustration du soi-disant nouvel eldorado pour les migrants du monde entier (quand l’actualité la plus brûlante rejoint le cinéma actuel). Et c’est là qu’on peut se poser de nombreuses questions sur le sens politique du film. Evidemment la plupart des jeunes cinéastes français occultent complètement la question, répondant la plupart du temps avec beaucoup d’arrogance qu’ils ne s’intéressent pas à la politique, que ce sont des artistes ! Tu parles Charles ! S’il y a bien une discipline artistique éminemment politique c’est bien le cinéma, dont l’histoire est parsemée de chefs-d’oeuvre incandescents, qui près de cent ans après leur apparition continuent de donner des complexes à nos faiseurs d’images nationaux (Le Cuirassé Potemkine d’Eiseinstein, Metropolis de Fritz Lang, L’Aurore de Murnau, L’Opinion publique de Chaplin, …).
Jacques Audiard est-il un cas à part ? Oui, je crois, car ce cinéaste brillant, dont je tiens Un héros très discret (1996) pour son véritable chef-d’oeuvre, plonge à chaque film en immersion dans un sujet de société complexe, loin des discours démagogiques des uns et des autres, comme par exemple la description naturaliste de l’univers carcéral dans Un Prophète (2009). Cependant le réalisateur est un pessimiste car si on considère la narration de Dheepan on se rend vite compte que pour lui la France n’est pas et ne sera jamais un havre de paix pour les réfugiés qui veulent se reconstruire loin de la violence et des conditions aléatoires d’existence. Dans le film Dheepan va devoir retrouver ses instincts guerriers afin de survivre au milieu de la cité où il occupe l’emploi de concierge et d’homme à tout faire, et en même temps sauvegarder l’intégrité de sa « fausse » femme et de sa « fausse » fille. Mais est-ce vraiment cela la France des cités aujourd’hui ? Des zones de non-droit aussi dangereuses et criminogènes que les fire zones du Sri-Lanka ? Alors Dheepan, dans la seconde moitié du film, se transforme en justicier, en vigilante, et à la manière de Charles Bronson dans Death Wish de Michael Winner (1974) va dessouder toute la racaille malfaisante de la cité. Alors c’est ça le pacte d’intégration républicaine dans notre pays ? C’est le seul avenir qu’on vend à tout le monde ? La guérilla urbaine, la dope et les fusillades en pleine rue à coté des écoles maternelles et primaires ?
On me rétorquera qu’il ne s’agit que d’un film, évidemment, et qu’il faut surtout s’arrêter sur la proposition de cinéma de Jacques Audiard, qui est la suivante : comment fait-on un film de genre en France, à l’intérieur du carcan essentialiste du cinéma français, celui de Claude Sautet et de Maurice Pialat ? En faisant péter les plombs à un ancien tigre tamoul qui ne rêve que de paix majestueuse symbolisée par un éléphant ? Mmmouais… de qui se moque-t-on ?
Sinon, en matière de solides images et d’interprétation puissante, précipitez-vous pour aller voir Dheepan qui est quand même au-dessus du lot de la production hexagonale. Pour le constat sociologique, chacun se fera son opinion.
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