Depuis de nombreuses années on a assigné au cinéma le rôle suivant : montrer, accompagner, donner à voir les soubresauts de la société ; ainsi, pour certains, l’art cinématographique n’est rien d’autre qu’une nouvelle discipline intellectuelle en sciences humaines. Je suis contre cette idée, et les mêmes qui voulaient se servir de la littérature au siècle passé pour assouvir leur passion triste de la politique (cf. toutes ces foutaises de littérature engagée, de réalisme socialiste, de nouveau roman, et j’en passe…) s’en donnent à coeur joie aujourd’hui avec le cinéma. Il faudra pourtant bien un jour se libérer de tous ces discours méta, post, supra, qui encombrent les articles et les pensées sur le cinéma. Reporter les névroses des uns et la dernière coucherie des autres mal négociée (eh oui, souvent dans la vie ça ne se passe pas comme dans les films) sur la structure narrative du dernier film à la mode n’aide pas toujours à garder ses sens en éveil. Ce qui nous manque aujourd’hui en France et dans les Dom-Tom pour savourer après coup les films qu’on a honte d’avoir aimés c’est quelqu’un comme Pauline Kaël, ou Roger Ebert, ou Peter Biskind, car depuis la disparition de Roger Tailleur et de Serge Daney on est orphelins d’analyses critiques fines, subtiles et humoristiques. Aujourd’hui tout est passé à la moulinette du relativisme, de la hype et de l’effet de sidération. On vous dit quels cinéastes aimer (Haneke, Werasethakul, Bilge Ceylan), quels cinéastes conchier (à peu près tous les réalisateurs de comédies et de policiers made in France), et si vous avez le malheur de sourire aux aventures des super-héros en collants bleus ou mauves, vous faites sans nul doute partie du clan des blaireaux qui aimaient les inepties made in USA dans les années 80. Alors pour garder bonne mesure, et donner le change, pour ne pas passer pour un imbécile ou un zozo, on se force à aimer : par exemple, les films des Monthy Pythons, c’est d’un chic (autant leur série pour la BBC me faisaient mourir de rire quand j’étais petit, autant leurs délires pour le grand écran m’ennuient, m’ennuient) ; autre exemple : se prosterner aujourd’hui devant les séries américaines qui font l’apologie de la violence, de la compétition acharnée et de la loi du plus fort, comme Game Of Thrones, Breaking Bad ou House Of Cards…
Enfin, quoi, on s’empêche de dire qu’on préfère Un moment d’égarement circa Claude Berri 1977 de son remake 2015 de Jean-François Richet, un cinéaste fort estimable par ailleurs ? On n’ose pas dire qu’on aime Une étrange affaire de Pierre Granier-Deferre 1981 parce que ça ressemble trop à Claude Sautet (lequel est soit dit en passant mon cinéaste français préféré avec Louis Malle) ? Pourtant, sur les relations malsaines, destructrices, délétères, manipulatrices et perverses entre le monde ouvrier et le patronat, il y a bien plus de finesse que dans le pensum moralisateur La loi du marché de Stéphane Brizé (2015) ; enfin, je trouve, et l’ensemble de ces propos n’engagent évidemment que moi.
Mais c’est bien parfois de faire la comparaison de certains films entre eux à trente ou quarante ans de distance, ça donne des points de vue circonstanciés sur le monde qui nous entoure… ça facilite une meilleure compréhension entre les uns et les autres… tiens, ça ressemble à du Lelouch, non ?
à suivre
.