Les thrillers : [#1] « Cruising – La Chasse »
Cruising – La Chasse (Cruising, Allemagne de l’Ouest/États-Unis, 1980) de William Friedkin, le réalisateur énervé, est un film profondément antipathique. Au départ il s’agit d’un long-métrage de genre attrayant, dans la mesure où son metteur en scène se propose de radiographier à l’aide de ses caméras 35 mm et de son Scope, le monde hermétique des clubs gays new-yorkais à la fin des seventies et au tout début des années fric & violence décomplexée des eighties. Le public de l’époque pouvait espérer avoir affaire à une vision différente de celle d’un Paul Schrader par exemple (son Hardcore [idem, États-Unis], date de 1979), ou à celles d’autres cinéastes puritains qui avaient traité le sujet d’une manière toute outrancière. Il n’en sera rien.
William Friedkin, fort du succès international de L’Exorciste (The Exorcist, États-Unis, 1973) mais marri du bide retentissant de son pourtant phénoménal Le Convoi de la peur (Sorcerer, États-Unis/Mexique, 1977), remake déroutant et sous adrénaline du chef d’œuvre incendiaire Le Salaire de la peur (France/Italie, 1953) d’Henri-Georges Clouzot, se sert d’un roman de Gerard Walker pour ausculter le monde interlope et nocturne du New-York essentiellement gay ; nulle trace de personnages lesbiens ou trans ici, le père Friedkin jouant avec tous les codes qu’on prête aux homosexuels à l’aube des années 80 : ils sont essentiellement body-buildés, moustachus, en sueur et n’ont pas besoin de communiquer par la parole pour incendier les sens de n’importe qui. C’est aussi kitsch et sans envergure que quand on veut rendre compte de l’atmosphère sexuelle dégagée dans n’importe quelle discothèque d’Amérique du Nord dans des films comme Flashdance (Adrian Lyne, États-Unis, 1983) ou Dirty Dancing (Emile Ardolino, États-Unis, 1987). Pourtant, en eux-mêmes, ces 2 films pris en exemple sont loin d’être mauvais ; cependant la gageure qui consiste à synthétiser toute une culture jeune & urbaine en 3 plans séquences et quelques ralentis sur de la musique à la mode va bien 10 ou 15 minutes, pas plus. On ne résume pas une manière culturelle en 1 film ou 2, en faisant croire qu’on en a fait le tour.
Quelle est l’intrigue du film ? Le chef des inspecteurs de la Brigade Mondaine d’un borrough new-yorkais charge un de ses policiers d’infiltrer la communauté gay afin de mettre la main sur un tueur en série qui assassine des homosexuels en les lardant de coups de couteau dans le dos, et parfois en découpant leur corps. Steve Burns est le policier à qui le chef (interprété par Paul Sorvino) s’adresse pour mettre hors d’état de nuire le mystérieux tueur au couteau.
À partir de là nous suivons les pérégrinations de Steve, qui est « undercover », et qui sous la fausse identité de John Ford va essayer de se créer de toutes pièces un profil vraisemblable dans le monde très fermé des clubs « hardcore » de la ville qui ne dort jamais.
Ce qui est perceptible, à la vision des plans qui se déroulent dans les différents clubs où Al Pacino déambule à la recherche d’indices, c’est la façon méprisante avec laquelle William Friedkin filme cette « faune » de mâles qui se déhanchent sur la piste au son d’une musique techno-rock répétitive en diable. Si on étudie avec minutie les séquences on « sent » que le réalisateur adoube le comportement des inspecteurs de la Mondaine – notamment dans une scène d’interrogatoire traumatisante pour le jeune suspect qu’on soupçonne un temps d’être le tueur en série. La virilité agressive de ces policiers à moustache et en bras de chemise jure avec celle – mise à distance – de tous ces mecs qui passent la nuit à jouer sexuellement avec leurs corps entre adultes consentants. Et Friedkin appuie à coups de zooms et de décadrages l’idée selon laquelle ce n’est pas tellement de se mettre dans les pas d’un tueur en série qui est traumatisant, mais bien plutôt de se mêler à cette faune hédoniste, filmée à la manière d’un Ridley Scott quand il traque sa terrible bébête dans les coursives du Nostromo [Alien, le huitième passager, Alien, Ridley Scott, Royaume-Uni/États-Unis, 1979].
Cruising – La Chasse, qui est plastiquement superbe, et particulièrement bien interprété (Al Pacino y est somptueux dans son rôle de policier complètement dépassé), n’en reste pas moins, sous des atours séduisants au possible de thriller urbain moderniste, un film profondément réactionnaire.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté pour rédiger un commentaire.