Jeff Daniels est un comédien exceptionnel. Et pour celles et ceux qui ne le savaient pas encore, il est temps de voir de quoi le garçon est capable dans la série en 9 épisodes American Rust (États-Unis, Showtime, 2021).
Il y interprète le shérif Del Harris d’une petite bourgade de Pennsylvanie, baptisée Buell, dans laquelle tout le monde se connaît. Comme la mondialisation est passée par là, Buell est économiquement sinistrée, le taux de chômage y est de 25 % et tout le monde a du mal à joindre les deux bouts. Deux jeunes hommes, dont les années lycées sont derrière eux, Billy Poe et Isaac English, aimeraient s’échapper car leur condition sociale n’est pas reluisante ; mais ils n’ont nulle part où aller. Et quand il s’agit de prendre le train pour quitter la ville, c’est de train de marchandises qu’il s’agit.
À Buell chacune et chacun a mille raisons de s’enfuir, pour aller où exactement, dans l’Ouest ? Mais cet Ouest mythique possède-t-il les vertes prairies dont on parle dans les légendes américaines ? N’arrive-t-il pas parfois qu’on en revienne, encore plus cabossé qu’avant ? Souvenez-vous du Motorcycle Boy dans l’élégiaque Rusty James (Rumble Fish, États-Unis, Zoetrope Studios, 1983) du Maître Francis Ford Coppola, un film maudit dans lequel les âmes blessées s’affrontaient à coups de lames de rasoir. On se souvient aussi de Tom Cruise dans ses jeunes années d’Outsiders (Francis Ford Coppola, The Outsiders, États-Unis/France, Zoetrope Studios/AMLF, 1983) qui n’étaient pas encore abîmées par l’Église de Scientologie. Il fut un temps où l’Amérique respirait, bougeait, dansait sur les scores originaux de La Fièvre du samedi soir (Saturday Night Fever, États-Unis, Paramount Pictures, 1977) de John Badham, et de Flashdance (États-Unis, Paramount Pictures, 1983) d’Adrian Lyne.
Aujourd’hui, en Pennsylvanie, on se force un peu pour se rendre au mariage de Jimbo et de Katy, parce qu’on sait que la suite sera un long chemin semé d’embûches, et la mariée a beau être jolie, un meurtrier rôde dans la ville. Il a lâchement assassiné l’ex-adjoint du Shérif Harris, et même s’il s’agissait d’un salaud qui violentait sa femme… eh bien ces choses-là ne se font pas.
American Rust n’est en aucune manière une série misérabiliste. Car ses créateurs ont une véritable empathie pour chacun des personnages qu’on voit à l’écran. Il ne s’agit pas ici d’un trip télévisuel putassier orchestré par des merdeux qui se donneraient bonne conscience en proposant une vision déformée de l’Amérique au temps de Trump, de Bannon et de Qanon. Non. Au contraire, le show-runner Dan Futterman, fait preuve de beaucoup de délicatesse sur l’ensemble de la série (9 épisodes en tout). Né le 8 juin 1967 à Silver Spring, dans le Maryland, Daniel Paul Futterman n’est pas un néophyte qui découvrirait l’univers emphatique des créations télévisuelles sérielles en découvrant les scores d’audience de Squid Game (Ojing-eo geim, Corée du Sud, Netflix/Siren Pictures, 1 saison en 10 épisodes : 2021) dans la dernière édition en date du Wall Street Journal ou de Variety. Diplômé en 1989 de l’Université Columbia à New York, il a écrit le scénario du film Truman Capote (Capote, États-Unis/Canada, Sonny Classics, 2005) pour ses deux amis d’enfance le réalisateur Bennet Miller, et le comédien Philip Seymour Hoffman.
American Rust nous plonge au cœur d’une enquête criminelle particulièrement perturbante, dans la mesure où tous les protagonistes du drame sont liés entre eux. En quelque sorte il s’agit d’un anti-Twin Peaks (États-Unis, Lynch/Frost Productions, 2 saisons : 1990-1991), car ici l’effet de naturalisme est immédiat, et nous ne sommes jamais emportés dans des tourbillons ni des spirales autoréférentielles qui entretiendraient le mystère. Dès les premières minutes nous savons, nous avons la certitude, qu’on nous amènera vers la résolution de l’énigme, pas à pas, en prenant son temps, et en ne cessant jamais de filmer le désarroi qui nous assaille tous, à hauteur de femmes et d’hommes qui cherchent désespérément à s’en sortir. Mais qui ne peuvent.
American Rust met en scène, avec sobriété, en 9 épisodes merveilleusement équilibrés, ce que nous sommes devenus, à notre corps défendant.