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Quand le bison manque : « La Dernière Chasse » de Richard Brooks (1956)

Le chasseur de bison humaniste en compagnie de son plus fidèle allié, le dépeceur de peaux philosophe.

Le chasseur de bison humaniste en compagnie de son plus fidèle allié, le dépeceur de peaux philosophe.

En 1883, dans le Dakota du Sud, deux chasseurs s’associent pour aller tuer des bisons, dont la population s’amenuise considérablement. Une peau de bison dépecé vaut deux dollars pièce à la vente, et une peu de bison blanc, animal sacré pour les Indiens, se monnaye jusqu’à 2000 dollars l’unité. Comme Sandy McKenzie, interprété par Stewart Granger, est un ancien chasseur réputé, son nouvel associé, le bouillant Charlie Gilson, joué par Robert Taylor, pense qu’il va rapidement s’enrichir. Accompagnés par deux écorcheurs de peaux de bêtes, un ancien porté sur la bouteille et un jeune métis rejeté partout où il traîne, les deux chasseurs s’aventurent dans les paysages grandioses du Sud Dakota. Ils vont découvrir très vite qu’ils n’ont pas grand chose en commun. Ainsi, au fur et à mesure que l’intrigue se noue (vers quels territoires sauvages se diriger pour rencontrer les bisons en pâture ?), le réalisateur Richard Brooks ausculte les tempéraments opposés des deux personnalités, que les rapports à la chasse, à la nature, à l’amitié, et à la relation amoureuse avec une Indienne, différencient totalement.

Portée par deux très grands acteurs de cinéma, Robert Taylor et Stewart Granger, cette production de 1956 en Technicolor et en Cinémascope de Dore Schary pour la Metro-Goldwyn-Mayer, raconte le conflit qui oppose un chasseur sans merci à un éleveur de bétail, autrefois lui aussi chasseur de bisons, qui prend conscience néanmoins qu’un changement a opéré depuis quelques décennies (depuis 1863 exactement) au sein même de le flore et de la faune des États-Unis d’Amérique.

Ce film de 1956 peut par conséquent être vu comme un des premiers manifestes écologiques réalisé au sein même de l’industrie du cinéma américain. A peu près à la même époque, l’écrivain français Romain Gary, Compagnon de la Libération, sera couronné du Prix Goncourt pour son roman écologique Les Racines du ciel, qui sera adapté au cinéma par Hollywood. À partir des années 1950, dans La Mecque du Cinéma, des producteurs et des réalisateurs se connectent avec les idées artistiques du moment : en faisant adapter le roman de Milton Loft par Richard Brooks, et en lui confiant la réalisation, Dore Schary permettait à la M.G.M. d’ajouter à son catalogue de films une œuvre cinématographique majestueuse, un western époustouflant.

Magnifié par la superbe photographie du génie de la Lumière Russell Harlan, accompagné par le score lyrique de Daniele Amfitheatrof, La Dernière Chasse (The Last Huntausculte avec minutie les rapports ambigus que des personnes en prise avec un contexte écologique et économique difficile (mais où sont passés ces satanés bisons, et, surtout, combien en restent-ils ?) arrivent à nouer puis à défaire au gré des circonstances.

Cette Dernière Chasse permet de mieux comprendre aujourd’hui ce qui se tramait d’important au sein des grands studios d’Hollywood en 1956 : la mise en perspective d’une conception de l’intrigue, associée à l’intelligibilité de l’idée qu’on a à défendre. Et cette idée est la suivante : comment on s’adapte quand un écosystème change, celui qui permettait il n’y a pas si longtemps encore de nourrir les Indiens et les autres quand les bisons pullulaient en Arizona et dans le Sud Dakota ?

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Direction d’orchestre et sentiments : « Tár » de Todd Field (2022)

Lydia Tár dirigeant l'Orchestre symphonique de Berlin.

Lydia Tár dirigeant l’Orchestre symphonique de Berlin.

On dirait que depuis un an ou deux les films-fleuves ont à nouveau la cote. Sortis sur nos écrans simultanément, deux productions américaines proposent chacune près de 3h de cinéma incandescent. Il s’agit de Babylon de Damien Chazelle et de Tár de Todd Field. Une tendance se dessine : pour renouer avec le public cinéphile d’autrefois, les cinéastes ont compris qu’il fallait revenir aux fondamentaux de l’exercice ; à savoir : raconter une histoire palpitante avec des actrices et des acteurs charismatiques, et ne pas négliger le travail formel sur l’image. Certain.e.s cinéastes ont enfin compris de quoi il retourne, qu’il faut laisser les phénomènes de mode aux plateformes de streaming payant. Les gens surconsomment et n’ont pas plus d’attachement que cela à l’esthétique. Sur les plateformes règnent les histoires à rallonge et le sensationnalisme sonore et visuel. Donc, il y a de la place pour le retour de la beauté au cinéma, et c’est une bonne nouvelle.

Le film Tár de Todd Field (États-Unis, Focus Features, 2023) rend haletante la vie quotidienne d’une femme chef d’orchestre. Lydia Tár, américaine, est à la tête du prestigieux Orchestre symphonique de Berlin, après avoir dirigé le Big Five, c’est-à-dire les orchestres symphoniques de New-York, de Boston, de Chicago, de Philadelphie et de Cleveland. Elle est unanimement considérée comme étant un génie de la musique. On la compare volontiers à Leonard Bernstein, son mentor, mais aussi à Wilhelm Furwäntgler, à Herbert von Karajan ou à Claudio Abbado.

Alors, qui d’autre que Cate Blanchett pour incarner à l’écran cette maestra next gen ? Évidemment, dans la vraie vie Lydia Tár n’existe pas. Pourtant l’actrice née à Melbourne en Australie, par sa performance rend l’existence de cette femme de pouvoir totalement crédible. Elle incarne par conséquent une artiste qui est le symbole de la réussite professionnelle, mais aussi son corollaire, l’arrogance, la manipulation charismatique et le népotisme, à cause d’une hubris de moins en moins mesurée et bientôt débordante.

Le film colle à une certaine actualité : celle de la médisance d’abord, puis des accusations sur les réseaux sociaux et sur les smartphones, quand n’importe qui se fait accusateur public, juge et bourreau. Une femme anticonformiste, qui est au-dessus de ses pairs dans la pratique de son art – la direction d’orchestre – va laisser apparaître petit à petit des fêlures, plus nombreuses qu’on ne croyait, dans l’ordonnancement de son mode de vie privilégié. La question qui se pose est : Lydia Tár est-elle une mauvaise personne, manipulatrice et vouant les êtres qui l’approchent de trop près à la destruction irrémédiable ? Des propos tenus sans filtre dans le cadre d’une Master-class à la Juilliard School, à New-York, puis un accès de népotisme dans la gouvernance artistique du Symphonique de Berlin, vont conduire la musicienne et l’interprète vers le point de bascule.

En 2h38 précisément nous assistons, impuissants, à la mise à feu, au déploiement, puis aux brusques embardées d’une trajectoire trop belle pour n’être pas marquée du sceau de l’infamie ou du déni. Ce film de Todd Field est remarquable car il nous dit qu’à trop se frotter aux vraies beautés artistiques, non seulement on se brûle, mais on répand aussi le feu destructeur tout autour de nous.

Décidément, en ce tout début d’année 2023, le cinéma qu’on aime par-dessus tout résiste vaillamment aux sirènes du marché audiovisuel décérébré.

 

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