Michael Haneke, le réalisateur autrichien, est un maître formaliste du cinéma contemporain. En deux films d’une amplitude considérable, il a interrogé dans les années 1990 le pouvoir nocif des images : d’abord dans Benny’s Video (1992), ensuite dans Funny Games (1997), qui nous intéresse ici plus particulièrement.
Seulement cinq petites années séparent Benny’s Video de Funny Games, mais on pourrait penser qu’il s’agit du même film, continué d’une bobine de 35 de l’un jusqu’à celle de l’autre. D’ailleurs, dans ces deux films, on fait la connaissance du prodigieux jeune acteur (à l’époque) Arno Frisch, qui y incarne une figure angélique du Mal absolu.
Que nous raconte Funny Games ? Sous des dehors enjôleurs, deux grands adolescents déréglés officient dans un espace-temps différent du nôtre, où le Bien et le Mal s’annihilent complètement. Et c’est cela que filme la caméra objectivée de l’Autrichien, froide comme un instrument chirurgical de bloc opératoire. Michael Haneke, en pleine possession de ses moyens de cinéaste européen qui veut nous dire où nous en sommes pendant que l’ex-Yougoslavie n’en finissait pas de se détruire, nous a brutalement réveillé.es. Il a apporté avec ses images dérangeantes une mise au point nette, froide et précise : les images qui abreuvaient la jeunesse occidentale devenaient l’instrument clinique de notre prochaine disparition.
À l’époque où sortirent sur les écrans de cinéma ces deux films, nous, jeunes spectatrices et spectateurs abreuvé.es de Hollywood et d’Entertainment mondialisé, étions nous prêt.es pour cela ? Je ne crois pas. Mais aujourd’hui, en 2024, la maturité aidant, le regard a changé. Et il est plus que jamais nécessaire de regarder bien en face ce que le barde autrichien avait filmé au cœur de l’Europe, en ces terres d’Europe centrale qui sont le cœur battant de la civilisation européenne.
Un seul conseil aujourd’hui : pressez sur le bouton « play » de votre télécommande et lancez les images de Funny Games. Le temps est venu de regarder vraiment. [Les films de Michael Haneke sont en ce moment visibles en replay sur la VOD d'Arte.tv ]
À noter : Michael Haneke en a réalisé lui-même un remake aux États-Unis avec des vedettes hollywoodiennes, dix ans plus tard ; le film s’intitule Funny Games U.S.