L’apprentissage du désordre : « The Apprentice » (2024) d’Ali Abbasi
Dans The Apprentice (2024) un cinéaste d’origine iranienne, Ali Abbasi, qui vit à Copenhague, réunit dans son casting deux acteurs formidables, Sebastian Stan et Jeremy Strong, et une actrice exceptionnelle, Maria Bakalova, pour nous raconter les débuts à New York de l’actuel 47e président des États-Unis d’Amérique, à savoir Donald J. Trump.
Mais il ne s’agit pas d’un biopic, ni d’un assemblement de moments marquants dans le parcours singulier d’un individu mondialement connu. Il s’agit plutôt de dresser deux époques l’une face à l’autre : la deuxième moitié des années 1970, quand New York était une ville cosmopolite et dangereuse, voit les ambitions d’un jeune héritier de l’immobilier rencontrer une figure de mentor ; il s’agit du sulfureux Roy Cohn, un avocat affairiste qui a comme fait d’armes l’électrocution des époux Rosenberg sous le sénateur Mac Carthy. C’est dans cette première partie du film qu’on assiste à l’envol du magnat de l’immobilier qui tire toutes ses ficelles du sac à malices de l’avocat. Comment suborner un témoin lors d’un appel d’offres de la mairie de New York pour la fabrication d’un hôtel de grand standing dans un quartier de mixité sociale, laquelle sera réduite à néant si le projet est retenu ? Ou encore comment menacer un juge des affaires administratives en lui exhibant sous le nez des photos volées dans lesquelles il est en fâcheuse posture dans les bras de prostitués mexicains pubères ? Cette première partie met en images les recettes imprimées par Machiavel au XVIe siècle dans la Florence des Médicis. S’agissant des us et coutumes des trafics d’influence et des malversations au sein de ce que l’actrice bulgare Maria Bakalova nomme à plusieurs reprises dans les bonus DVD du film l’empire américain, cette comparaison n’est pas fortuite.
Ensuite, et en regard, nous est proposée en deuxième partie l’ascension, au sommet de la gloire industrielle et médiatique, du golden boy Trump, pendant la décennie reaganienne (les années 1980) qui a permis aux traders et aux yuppies de détricoter tout l’édifice social des États-Unis, mis en place sous Roosevelt pendant le New Deal, en 1933. Comment on s’empare des leviers du pouvoir économique, quand on ne respecte aucune règle de bienséance financière ? Donald J. Trump va appliquer à la lettre les préceptes de son mentor. Il construit son édifice immobilier mais les premières fissures apparaissent : le ménage avec Ivana bat de l’aile et le mentor autrefois admiré, fait maintenant figure de repoussoir. D’ailleurs on ne prend plus ses appels au téléphone.
Il faut saluer l’interprétation remarquable de Sebastian Stan (dans le rôle de Donald Trump), celle tout aussi savoureuse de Jeremy Strong (dans le rôle de Roy Cohn, le mentor sulfureux) qui est en train de devenir mine de rien le meilleur comédien vivant de sa génération, et la parfaite partition de Miss Maria Bakalova qui donne beaucoup de relief au personnage d’Ivana Trump.
Ce film dresse le portrait d’une époque (le tournant des Seventies/Eighties en Amérique du Nord) pendant laquelle s’est édifiée notre modernité, à travers la frénésie avec laquelle le capitalisme outrancier et la financiarisation de l’économie des pays à économie de marché a contaminé le monde entier. Ce film devient indispensable pour savoir exactement dans quel monde complexe nous vivons. Mais en même temps il reste un grand spectacle visuel et sonore qui rivalise avec les grands films politiques américains d’antan (je pense aux Trois jours du condor de Sydney Pollack en 1975, ou à JFK d’Oliver Stone en 1991, qui est cité par le réalisateur dans les bonus DVD du film).
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