En 1878 un homme, William Munny, qui élève seul son garçon et sa fillette depuis la disparition de son épouse, morte prématurément (à l’âge de 28 ans) de la variole, va se remettre en selle pour traquer et punir deux cowboys. L’intrigue de ce film produit et réalisé en 1992 par Clint Eastwood, est épurée comme une tragédie ; elle met face à face dans le dernier acte deux archétypes de la brutalité de l’Ouest nord-américain : d’un côté nous avons un ancien tueur impitoyable, racheté par l’amour d’une femme, et de l’autre lui fait face un sheriff aussi brutal que les soudards qu’il aime corriger avec violence. Deux mêmes faces d’une même pièce s’affrontent avant de quitter définitivement le décor, quand les Grandes Prairies sauvages laissent la place à l’ère industrielle et au mécanisme.
Les cowboys d’antan sont fatigués, ils ne savent plus vraiment monter à cheval ni construire une charpente qui tienne droit. Des historiographes à lunettes récoltent les anecdotes et sont en train d’écrire la légende de l’Ouest, celles chères à John Ford et à Sam Peckinpah. Clint Eastwood, lui, règle ses comptes avec un genre (le western) qu’il a magnifié pendant si longtemps. Il livre avec Impitoyable (Unforgiven, Malpaso Productions pour Warner Bros., 1992) à peu près le film parfait : la réalisation, sans chichi, extrêmement classique, bâtie sur le scénario de David Webb Peoples, enluminée par la belle cinématographie de Jack N. Green et mise en musique par la sublime partition du compositeur Lennie Niehaus, offre un dernier tour de piste à Clint en vieux cowboy fatigué, éreinté, mélancolique à souhait, mais que la brutalité et les comportements sordides de ses contemporains, va faire rempiler dans l’ordre de la violence sèche et de l’abjection.
On avait cru, en 1985, que Clint Eastwood avait livré son western définitif, le sublime Pale Rider (Malpaso Productions pour Warner Bros.), dans lequel il mettait de l’ordre chez les chercheurs d’or. Nous nous étions trompé.es. La messe n’était pas encore dite, Clint en avait encore sous les éperons.
En compagnie de son vieil ami Morgan Freeman (le plus grand acteur du monde selon la légendaire critique de cinéma Pauline Kael, pourtant avare en compliments), il allait faire rugir les carabines Spencer dans la prairie ; pourtant le cœur n’y était plus. Le temps avait fait son affaire, et les vieux tueurs fatigués ne prenaient plus plaisir à occire qui que ce soit. Même accompagnés d’un kid tête-à-claque, William Munny et Ned Logan savaient leur quête vaine, et cruelle.
Ce film de 1992 qui clôture en beauté une certaine idée du cinéma (qui n’a malheureusement plus cours aujourd’hui) résumait la situation à peu près comme ceci : si on ne croit plus aux quêtes, même inutiles, autant laisser en paix et paître tranquillement les chevaux et les poneys ; et aller vendre des étoffes à San Francisco.
À quoi sert d’être impitoyable si on n’a plus le choix ?