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Une certaine tendance du cinéma français, 3ème partie

XVM669180b4-cff3-11e5-9d76-214cb7166664Dans un film français aujourd’hui – ou bien devrais-je plutôt dire dans une comédie française des années 2010 – il faut à tout prix montrer combien on a compris l’air du temps, sous peine de passer pour un dangereux réactionnaire. Du coup chaque personnage principal, et ils sont toujours plus nombreux dans chaque film, se doit d’être sensible, généreux, un peu rosse parfois mais pas trop quand même. Il doit aussi montrer exagérément les ficelles de son caractère en popularisant l’idée selon laquelle être un peu con sur les bords n’a jamais fait de mal à personne. L’exemple le plus flagrant est bien celui des époux Tuche dans la trilogie du même nom (Les Tuche, France, 2011, Les Tuche 2 : Le rêve américain, France, 2016 et Les Tuche 3, France, 2018, tous les 3 réalisés par Olivier Baroux, qui est quand même un réalisateur estimable). De toute façon tout ça se termine généralement sur un coucher de soleil rose bonbon enveloppé dans la musique du moment.

Exagérons à grand trait dans ce post puisque les fabricants de films ne s’en privent plus.

Pour une mamie qu’on veut faire passer pour indigne car elle a tiré 3 taffes sur un joint avant d’aller dépêtrer sa belle-fille des mânes d’un commissariat de province, et qui se déhanche en boîte de nuit dans le sud-est de la France (C’est quoi cette mamie ?! de Gabriel Julien-Laferrière, France, été 2019), quel sera le degré de respectabilité des autres personnages du film, des adultes tous sans exception totalement névrosés et psychotiques ? Seuls les personnages d’enfants s’en sortent pas trop mal, même si on tombe encore et toujours dans le cliché des adolescentes mal dans leur peau, tandis que les jeunes mâles de la tribu, eux, on sent bien qu’ils deviendront des winners dans quelques années, bouffis d’orgueil et de vanité. Mais qui s’en soucie au final ? De cette comédie d’été légère comme le Mistral qui a permis à l’un comme à l’une de laisser reposer son bronzage dans une salle climatisée de station balnéaire le temps de la projection… En attendant les grillades du soir et le rosé dans son sac à glaçons.

Bien, le film choral familial spécial familles recomposées hystérisées est la nouvelle marotte dans l’Hexagone, le lieu de l’osmose publicitaire qui veut faire croire au monde entier que le modèle bobo pourri de fric et de certitudes et aux pensées élargies laisse tous les autres pantois et envieux. Ah ça si tu savais par chez nous comme on jalouse ceux du dessus de la Loire, hé, hé !! L’exemple le plus frappant en est sans doute le film réalisé en tandem par deux personnalités du cinéma français pourtant attachantes : L’Amour flou de Romane Bohringer et Philippe Rebbot (France, 2018).

Dans ce monde pollué par le flux incessant des images qui ne montrent plus rien, qui ne signifient plus rien d’important ni de nécessaire, ne plus regarder le moindre film pendant un mois ou deux devient une façon polie de reprendre son souffle face à la vacuité du spectacle cinématographique qui nous est donné en pâture.

Mais même les décideurs les plus cyniques du cinéma français ne réussiront jamais à tuer notre désir fou de cinéma digne de ce nom. Pourtant, Dieu sait s’ils s’en donnent les moyens de septembre à juin…

à suivre…

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Une certaine tendance du cinéma français, 2ème partie

B9720360660Z.1_20190806161622_000+GVAE3CEVQ.3-0 On en revient toujours à cette vieille question, jamais   résolue en apparence : qui est le plus légitime pour   donner naissance à un film, celui qui le réalise et qui est   en principe derrière la caméra (même si la plupart des   réalisateur.rice.s se contentent de jeter un œil dans le   combo lors du tournage d’une scène), ou bien celui qui   joue dedans et qui possède le capital-risque (un peu   similaire à la valeur monétaire d’un joueur de football   de l’élite) ?

Il semblerait que le vrai pouvoir appartienne aujourd’hui davantage aux acteur.rice.s, dont je ne suis pas certain qu’ils portent tous de la même manière le désir de raconter des histoires. Ce qui fait que ces dernières se ressemblent toutes dans l’ensemble, avec la cohorte d’histoires de familles re-re-recomposées et surmultipliées, et multiethniques de préférence. On se demande quand même comment tous ces gens tellement libéraux et larges d’esprit vivent au quotidien. Car dans les comédies françaises actuelles on ne voit plus aucun personnage aller au travail ou chercher de la petite monnaie pour acheter son pain ou les croissants. Tout ce qui fait le sel de la vie de chacun d’entre nous n’intéresse plus les décideurs du cinéma français. Et nous n’avons plus le choix qu’entre comédies sirupeuses et dégoulinantes de bons sentiments et drames sociaux d’une noirceur absolue qui vous dégoûtent de la vie et d’a peu près tout ce qui en fait la saveur. Entre la misère sociologique et les rires faciles on est sommé de choisir son camp.

Remarquez, chez d’autres ce n’est guère mieux. Chez les américains par exemple les films tendent à devenir de plus en plus insipides et inoffensifs. Le reflet de la mondialisation couvre à peu près l’ensemble de la réceptivité des images en ultra HD ; et la nouvelle norme mondiale veut imposer à coups d’objets filmiques manufacturés dans les usines high-tech le flux continu, incessant, robotisé, des histoires qui ne s’arrêtent jamais. Car aujourd’hui plus aucun personnage ne meurt. Car plus aucune action racontée n’est marquée du sceau de l’irrémédiable, du moment unique et non reproductible. Le superflu dans les histoires est devenu ce qui est essentiel à la mécanique narrative audiovisuelle, films et séries mêlés.

À ce rythme tous ces gens qui ont les clés de l’imaginaire contemporain vont finir par nous éloigner pour de bon des salles. Il viendra un jour – proche, je le crains – où le cinéma ne signifiera plus qu’une chose, celle de refléter la norme majoritaire et consensuelle des gens du spectacle partout à travers le monde.

Quels utilisateurs de salles deviendrons-nous dans un proche avenir ?

Il n’est déjà qu’à remarquer qui hante les festivals de cinéma d’art & essai comme ceux de Locarno, de Gindou, de La Rochelle, d’Auch, etc. À force de nous faire croire que celles et ceux qui paient leur place de ciné tout au long de l’année incarneraient bon an mal an le vrai public pour qui le cinéma est conçu [alors que 60 à 70 % de la production cinématographie française procède de l’auto-congratulation permanente et satisfaite des gens du milieu ; cette sauterie entre gens bien nés coûte quand même des centaines de millions d’euros par an. Ça fait quand même cher Le Sens de la fête (Éric Toledano & Olivier Nakache, France, 2017) non ?] il ne faudra pas s’étonner le jour où les bonnes poires que nous sommes n’alimenteront plus la machine à fric du cinéma indigeste qu’on nous propose. Ce qui arrive avec l’alimentation aujourd’hui, ainsi qu’avec les produits pétrochimiques, arrivera aussi à l’industrie culturelle.

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Nous en aurons vite marre des ersatz d’acteur.rice.s, d’écrivain.e.s, de chanteur.euse.s, de tous ces néo-artistes en pâte à modeler fabriqués à la moulinette.

à suivre…

 

 

 

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Une certaine tendance du cinéma français

On assiste en ce moment à une véritable frénésie en France. C’est celle de confier la réalisation des films à des acteurs et à des actrices de cinéma.

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Cet été sur vos écrans c’est  une tendance lourde qui s’installe : Jalil Lespert sort son Dindon (France, 2019) avec Dany Boon, Guillaume Gallienne et Alice Pol ; Géraldine Nakache réactive son amitié factice avec Leïla Bekhti dans J’irai où tu iras (France, 2019), qu’elle ne peut s’empêcher de mettre en scène. Même un chanteur s’y met puisque le slameur Grand corps malade a réalisé La Vie scolaire (France, 2019) qui sort le 28 août en même temps que le nouveau film de la réalisatrice Rebecca Zlotowski, Une fille facile (France, 2019). Cette dernière met en scène la relation à double tranchant entre le personnage de Mina Farid et celui de sa cousine un peu plus âgée, incarné par une people autrefois connue à la rubrique « histoires pathétiques dont tout le monde se moque ». Mais ça fait longtemps que le cinéma français aime se faire mousser avec ce genre de geste artistique totalement ridicule : il n’y a qu’à se souvenir du casting improbable réuni par Claude Lelouch dans Hommes, femmes : mode d’emploi (France, 1996) ; dans lequel on voyait s’agiter Bernard Tapie et Ophélie Winter devant une caméra 35 mm médusée par tant de connerie. N’était pas Jean-Pierre Mocky qui voulait à l’époque. Si ça n’avait pas été ce brave Claude Lelouch devant la caméra, qui a quand même réalisé trois ou quatre des plus beaux films français d’après-guerre (oui mais laquelle me direz-vous ?), inutile de préciser que celui qui aurait eu l’idée de cette incongruité aurait vu sa carrière partir en fumée sans tambour ni trompettes.

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Mais aujourd’hui c’est du dernier chic de faire tourner une ancienne escort girl (belle à se damner il est vrai !) et peut-être même qu’elle aura le césar de la révélation cet hiver, et peut-être même qu’elle le méritera, si ça se trouve, la belle et pulpeuse Zahia Dehar, ce césar qui récompense nos talents cinématographiques, nos pierres précieuses les plus rares, les plus minérales.

Et Hafsia Herzi proposera Tu mérites un amour (France, 2019) le 11 septembre prochain. La liste est loin d’être close.

Cet état de fait veut dire une chose : que les acteur.rice.s ont pris le pouvoir au cinéma, et il va être de plus en plus difficile d’exister en tant que cinéaste à part entière dans ce pays, hors du sérail qui tient les rênes de la production audiovisuelle de ces vingt-cinq dernières années.

Ce qui auparavant était élaboré patiemment sur le plateau de tournage et qui correspondait à une vision forte et réfléchie, est en train de disparaître sous nos yeux de spectateur.rice.s averti.e.s.

Autrefois, par exemple, Jean-Pierre Melville, François Truffaut, Claude Chabrol, Jean-Pierre Mocky, Robert Enrico, Georges Lautner, Henri Verneuil, Claude Zidi et José Giovanni étaient maîtres de leurs films de bout en bout. Que seraient-ils devenus aujourd’hui ?

à suivre…

 

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Le livre de Romain Gary est de nouveau adapté au cinéma

1081800-lpa_j53-335jpg Après la version de Jules Dassin en 1970 avec Melina Mercouri. Laquelle fut tournée puis exploitée en salles du vivant du célèbre écrivain, dix ans avant sa mort (en 1980).

La vie de Romain Gary était un roman. Et l’homme a eu plusieurs vies en une. C’est d’ailleurs ce que reflète avec exactitude chacun de ses livres. A cheval sur plusieurs continents, embrassant différentes périodes tragiques de l’histoire du XXe siècle, Roman Kacew, né à Vilnius en 1914, est devenu pas à pas l’écrivain mondialement connu Romain Gary (ce nom de famille qu’il s’est choisi veut dire brûle en russe). Mais il fut avant cela un héros de guerre récompensé pour ses actes de bravoure alors qu’il était navigateur dans un bombardier de la Royal Air Force durant la Bataille d’Angleterre. Il fut fait Compagnon de la Libération par le Général de Gaulle, est devenu diplomate ensuite, chef de délégation aux Nations-Unies, puis Consul de France. Une fois devenu complètement écrivain, il fut le seul à ce jour à être lauréat 2 fois du Prix Goncourt (en 1956 pour Les Racines du ciel, roman adapté au cinéma un an après sa publication par John Huston, et en 1975 pour La Vie devant soi, publié sous le nom d’Emile Ajar, grâce à une mystification littéraire qui ne fut dévoilée qu’à sa mort).

Cet homme là aura eu une grande affaire dans sa vie, au moins jusqu’à la quarantaine, au moment de l’écriture de ce livre autobiographique charnel et puissant : sa mère Nina. Et c’est ce lien indéfectible à sa mère qui a entièrement conditionné ce qu’il est devenu, c’est-à-dire un être qui brûlait d’un feu incandescent que nulle aventure ne pouvait éteindre, dont la soif d’absolu, incommensurable, ne fut jamais étanchée.

C’est le très bon réalisateur français Eric Barbier qui a eu la folle audace de mettre à nouveau cette vie en images. Il avait réalisé en 1990 un très joli film sur des mineurs de fond, avec Jean-Marc Barr dans le rôle principal. Ça s’appelait Le Brasier et ce film est une des grandes réussites du cinéma français de ces années-là.

Eric Barbier est un cinéaste rare, et juste. Et ce qui n’était pas gagné sur le papier en matière de distribution des rôles fonctionne à merveille quand on regarde La Promesse de l’aube version 2018. Car il faut de l’audace pour mettre le délicat Pierre Niney dans la peau tannée et dans le cuir de cet aventurier « cosaque un peu tartare mâtiné de juif » et Charlotte Gainsbourg, habituée aux rôles extrêmes chez Lars von Trier notamment, incarne avec beaucoup de plaisir Nina Kacew, ce personnage de femme coriace et attachante, cette mère possessive au-delà de la raison parfois, une âme slave qui ne s’en laisse pas conter et toujours affronte le chaos de l’existence avec une force de caractère insoupçonnée. L’alchimie entre les deux interprètes est manifeste et pour une fois enfin, dans un film, Pierre Niney devient un véritable acteur de cinéma, à l’ancienne, charismatique en diable, avec une démarche et une prestance old school qui lui vont à merveille. Et en ce qui concerne Charlotte Gainsbourg ? Eh bien de toute façon, avec elle, c’est générationnel car elle restera, quoi qu’il en soit et quoi qu’il puisse advenir par la suite, mon actrice française préférée en compagnie des 3 autres : Juliette Binoche, Emmanuelle Béart et Marianne Basler. C’est avec ces quatre là que j’ai découvert à l’adolescence le cinéma français de ma génération. Et que ma passion pour les films de cinéma se perpétue au long cours.

Bref, la vie de Romain Gary en images méritait quand même la force et la délicatesse, tout à la fois, du jeu de Charlotte et de Pierre.

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Allez, viens prendre le train, quoi ! [1/2]

 

19538042_20130923175841529  Il y a deux manières d’envisager la chose : soit prendre le train est synonyme de vacances et de détente, et de potentielles rencontres, soit il s’agit de l’expérience la plus anxiogène qui soit, une plongée aux enfers dont personne ne revient indemne ; souvenez-vous de Train d’enfer (1984) de Roger Hanin, de Dernier train pour Busan (2016) de Sang-ho Yeon, ou encore de Snowpiercer – Le Transperceneige (2013) de Bong Joon-ho.

Envisageons tout d’abord la première manière, quand prendre le train rime avec plaisirs partagés et aventures en bermuda. C’est à bord d’un train que l’impeccable Cary Grant fait la connaissance de la sublime Eva Marie Saint dans La Mort aux trousses (North by Northwest, 1959) de Sir Alfred Hitchcock ; le train est alors le vecteur de l’aventure et de la résolution des énigmes, car bon nombre de films policiers et de thrillers se déroulent dans des wagons lancés à folle allure sur les écrans de cinéma. Ce monde clos est fascinant car pendant que la locomotive fulmine, tout peut arriver : même les combats à mains nues les mieux chorégraphiés. Songeons à celui qui oppose James Bond/Sean Connery au féroce agent du KGB dans l’insubmersible Bons baisers de Russie (From Russia with Love, 1963) de Terence Young. Et dans 007 Spectre (2015) de Sam Mendes, c’est en train que le super agent britannique incarné par Daniel Craig va au devant de son destin et de la résolution de l’énigme des origines, accompagné du Docteur Madeleine Swann/Léa Seydoux : qui est réellement Ernst Stavro Blofeld/Christoph Waltz, et quel est son véritable rang dans la hiérarchie du SPECTRE ? Numéro 1, numéro 1 bis, numéro 2, numéro O ? Dans l’ultime face à face entre l’agent double zéro et son frère de lait d’adoption, qui est le pendant maléfique de l’autre ? Qui est le plus brutal ? Ce sont les questions captivantes qui sont posées par les James Bond Movies depuis que Daniel Craig a repris le flambeau (dans le flamboyant Casino Royale, 2006, de Martin Campbell). A bien des égards la scène surpuissante de bagarre entre James Bond et Mr Hinx, incarné par David Bautista, reprend au geste près la séquence mythique du 2e film de la série, citée plus haut. Comme un ultime hommage.

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à suivre…

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Le journal d’une femme de chambre, de Luis Buñuel

gettyimages-166696811-612x612 Le grand écrivain de cinéma André Bazin aimait beaucoup les films de Luis Buñuel. Il fut aussi un de ceux qui en parlèrent le mieux, au moment où ce dernier revenait de son exil au Mexique, un pays dans lequel il tourna beaucoup de films, oublié de pas mal de gens importants en Europe continentale. Il est difficile d’imaginer aujourd’hui que ce cinéaste, prenant place parmi les ténors du cinéma mondial d’alors, de ceux qui sculptèrent avec la lumière des images inoubliables, au même titre que Chaplin, qu’Hitchcock, que Welles, disparut des radars après ses premiers essais filmiques surréalistes, Un Chien andalou (1929) et L’Âge d’or (1930). C’est à l’initiative du festival de Venise notamment qu’il fut redécouvert après-guerre. C’est à ce moment là qu’André Bazin fit sa connaissance, et que par son entremise Luis Buñuel devint un réalisateur français. En témoigne pour toujours ce chef-d’oeuvre de maîtrise et d’équilibre qui a pour titre Le journal d’une femme de chambre, et qui date de 1964.

J’ai le sentiment (ou l’intime conviction, au choix) qu’à partir de 1960 (ou même avant) Luis Buñuel devient, comme Alfred Hitchcock, cet inventeur de formes cinématographiques, lesquelles nécessitent une maturité et un usage de l’appareillage technique proprement hallucinants. Car sans L’Âge d’or, sans les oeuvres de jeunesse et celles de l’âge intermédiaire, il ne pourrait y avoir les films inouïs de l’âge mûr. Au même titre qu’Hitchcock, Luis Buñuel maîtrisait à la perfection tous les rouages de la machinerie filmique. Il était un visionnaire doublé d’un technicien hors pair ; dont l’agilité technique n’a d’égale que l’apparente simplicité avec laquelle il nous donne à voir, et à interpréter : pour s’en convaincre il n’y a qu’à mesurer la fluidité avec laquelle il enchâsse le corps en mouvement de Jeanne Moreau dans des mouvements d’appareil d’une exquise délicatesse, pourtant nerveuse et enjouée. Cela a l’air simple, évident, et pourtant très peu de réalisateurs réussirent à marier le cadre (celui de la composition du plan) avec le naturel gracile de leurs comédiennes : on pense aux muses de Buñuel, Jeanne Moreau et Catherine Deneuve, mais aussi à celles du grand Hitch, Grace Kelly et Tippi Hedren.

La photographie en noir & blanc, somptueuse, apporte la délicatesse du velours, alors qu’il se passe des choses très dures à l’écran (comme le meurtre d’une enfant en hors-champ dans une forêt). La caméra semble caresser chaque protagoniste, lesquels ne sont pourtant pas avares en turpitudes de toutes sortes : cela va du fétichisme touchant du vieux châtelain, à l’envie pernicieuse de forniquer avec tout ce qui porte un jupon, de son beau-fils interprété avec brio (jusqu’au malaise) par un Michel Piccoli hors-norme.

Et puis il y a Jeanne Moreau, qui porte ce rôle emblématique sur ses épaules d’immense comédienne, au charisme naturel, avec ce ton de voix gouailleur qui fait penser à Arlettty dans les années 30 et 40.

à suivre

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Doubles vies d’Olivier Assayas

Doubles vies Assayas Dans ce nouveau film d’Olivier Assayas, Doubles vies (2018), on suit les pérégrinations de quatre personnages principaux, liés les uns aux autres par des rapports à la fois professionnels et amicaux. Par exemple Alain, éditeur dans une vénérable maison d’édition parisienne, a une relation compliquée avec un des auteurs de son catalogue de littérature générale : Léonard Spiegel, un écrivain exigeant et par cela assez confidentiel, incarné avec beaucoup de générosité comique par le décidément très bon Vincent Macaigne. Lequel espère voir son nouveau manuscrit publié par son ami joué par Guillaume Canet, plus sobre que d’habitude, réalisateur pointilleux oblige !

Ce chassé-croisé classieux et hyper contemporain entre Guillaume Canet, Juliette Binoche, Vincent Macaigne, Nora Hamzawi et Christa Théret débouche sur une radiographie des sentiments ; ceux qui agitent les parisiens branchés aujourd’hui : éditeurs germanopratins, analystes des nouvelles technologies connectées, écrivains élitistes, pétillantes assistantes parlementaires, savoureuses comédiennes, tout ce petit monde tellement séduisant et intelligent en prend gentiment pour son grade. Même si leurs préoccupations peuvent paraître stériles à première vue, c’est quand même de la difficulté à envisager un avenir commun, à l’heure du règne omnipotent des nouvelles technologies, dont parle le film. En nous montrant les dilemmes auxquels sont confronté tous ces personnages têtes à claque.

Mais les comédiens, rigoureusement choisis, rendent ces tranches de vies, prises sur le vif, particulièrement attachantes. Et à la justesse avec laquelle jouent les très estimables Juliette Binoche et Guillaume Canet, il faut ajouter la drôlerie qui n’appartient qu’à lui de Vincent Macaigne, ainsi que la fantaisie qui se dégage de l’extraordinaire composition de Nora Hamzawi.

Décidément le cinéma français a de bien belles choses à offrir cet automne et cet hiver aux spectateurs alanguis que nous sommes.

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« Les Estivants » de Valeria Bruni Tedeschi ou la mise en perspective de l’abandon

les estivantsCe 4eme film de fiction pour le cinéma de Valeria Bruni Tedeschi en tant que réalisatrice mêle avec brio des séquences qui paraissent autobiographiques et d’autres totalement imaginées, voire fantasmées. Tournant avec beaucoup de délicatesse et de désir autour des notions de perte, de séparation et d’abandon, la cinéaste met en scène des personnages haut en couleurs, auxquels on s’attache vraiment, ce qui n’est pas une mince affaire aujourd’hui tellement nous sommes submergés par les narrations sérielles multiples qui ne se terminent jamais.

Il s’agit ici d’un vrai bel objet de cinéma, conçu avec soin, et la présence dans la salle de Valeria et de sa complice Noémie Lvovsky fut particulièrement agréable. Mêlant soigneusement, sans jamais avoir peur du ridicule, comme l’a précisée l’actrice et coscénariste du film Noémie, scènes de franche comédie chorale avec des contrepoints tragiques comme l’évocation sensible du frère disparu dont on nous fait comprendre qu’il était un tampon entre le caractère diamétralement opposés des deux sœurs italiennes, Les Estivants est une superbe composition collective ressuscitant avec beaucoup d’émotion les fantômes passés et apaisants du cinéma d’auteur, mais aussi populaire, d’autrefois.

La séance a été présentée par Alain Bouffartigue, accompagné par Noemie Lvovsky, qui est à la fois une comédienne sensible, tout en retenue, ainsi qu’une réalisatrice de grand talent. Elle a évoqué son amitié avec Valeria, qu’elle connaît depuis plus de 30 ans. Les deux femmes ont l’habitude de travailler chacune sur le film de l’autre, du coup on sent une complicité qui n’est aucunement usurpée. Le reste du cast est à l’unisson, avec une mention spéciale à la pétillante Valeria Golino qui livre une prestation pleine de fantaisie nuancée par le désarroi de ce personnage qui noie son chagrin de n’avoir pas eu d’enfant dans une pitrerie de bon aloi. Il y a tant et tant de choses remarquables à dire sur ce film qui évoque aussi les rapports de classe et de domination entre gens aisés et personnel de maison empêtré dans des situations aussi enlevées que celles de leurs patrons. Mais tout cela est orchestré avec beaucoup de soin, dans un décor de rêve, sur la Côte d’azur, qui n’est pas sans rappeler le lieu de villégiature de Meurtre au soleil (Guy Hamilton, 1982), avec son ponton qui donne directement sur la mer et sa terrasse étourdissante qui surplombe icelle. Cette réminiscence cinéphilique est-elle consciente ou non ?

Après la projection de ce très beau film d’automne Valeria Bruni Tedeschi a répondu aux questions du public qui avait rempli la salle 2 de notre magnifique Ciné 32 ; avec à ses côtés Noémie Lvovsky, et on pouvait sentir la belle complicité qui unit ces deux femmes créatrices d’univers singuliers au cinéma, depuis tant d’années. Et puis Jean Douchet, qui assistait à la représentation, n’a pas pu s’empêcher de donner un cours magistral en mettant en perspective Les Estivants avec tout un pan du cinéma français qui traite des rapports de domination à l’œuvre dans la société française entre nantis et domestiques, ou ouvriers et patrons, c’est selon ; et ce depuis La Règle du jeu de Jean Renoir, 80 ans auparavant, ce qui ne nous rajeunit pas. Mais bon, c’est ce qu’on attend d’un éminent critique de cinéma, de décortiquer à chaud un film magistral, pas vrai ? C’était marrant d’ailleurs de voir avec quelle attention touchante Valeria et Noémie écoutaient le docte monsieur faire sa leçon cinéphilique. C’est pour des moments comme celui-là qu’il est indispensable de se rendre dans les festivals de cinéma, qui permettent de faire vivre devant nous des personnages de cinéma bien réels et terriblement humains et touchants. si le reste du festival est à l’avenant, ça promet de belles, très belles rencontres de cinéma.

Prochain épisode avec le nouveau film d’Olivier Assayas.

 

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21eme festival de cinéma « Indépendance(s) & création », à Auch

IMG_00000540En ce moment a lieu le 21eme festival de cinéma indépendance(s) & création à Auch, dans le Gers, et à cette occasion je me propose de chroniquer les films de mon parcours cinéphilique, espérant susciter chez vous l’envie de découvrir ces films une fois en salles. Je commence avec le film de Valeria Bruni Tedeschi, qui est pour moi une belle entrée en matière pour prendre le pouls du cinéma d’auteur français actuel ; et qui pose la question suivante : à l’heure des images fabriquées à la chaîne par nous tous à partir de nos objets connectés, comment se raconter sans tomber ni dans la complaisance, ni dans le narcissisme béat ? Réponse dans le post suivant.

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Ciné 80 : (#1) « L’Effrontée »

critique-l-effrontee-miller33 En 1985 Claude Miller sort au cinéma L’effrontée, qui est le portrait d’une jeune fille de 13 ans, Charlotte Castang, au début des grandes vacances d’été. L’ennui, la chaleur de l’été, les affres de l’adolescence qui commence, le sentiment de ne pas être compris, de perdre son temps, toutes les avanies de cet âge ingrat sont radiographiées avec tendresse et humour par un réalisateur au sommet de son art. Reprenant le flambeau de ces grands cinéastes qui filmèrent les enfants avec une maestria sidérante (Jean Vigo, François Truffaut, Robert Bresson, Maurice Pialat) Claude Miller réalise un grand film populaire (couronné par un succès mérité en salles lors de sa sortie) qui réconcilie les gens avec un cinéma de qualité, en apparence tout simple, sachant raconter sans jamais ennuyer, les petits tracas du quotidien.

Portrait d’une enfant de 13 ans au milieu des années 80, qui se pose des tas de questions et expérimente en moins d’un mois pas mal d’émotions contradictoires, le film est bouleversant car il fait éclore le talent naturel, sans artifice, de la très jeune Charlotte Gainsbourg. Quand on sait l’immense actrice qu’elle est devenue par la suite on ne peut que se féliciter du choix de Claude Miller de lui confier le rôle éponyme. Et puis retrouver Bernadette Laffont dans le rôle de Léone, à la fois confidente et maman de substitution pour Charlotte et sa petite voisine, est toujours un émerveillement, tant la grâce et le talent de cette comédienne extraordinaire ont imprimé la pellicule.

Visionner ce film c’est aussi se souvenir de qui on était, à 13 ans, au milieu des années 80, qu’on soit fille ou garçon, en Province.

En 1985 j’avais 12 ans, et à chaque fois que je regarde L’effrontée j’ai l’impression que Claude Miller a mis des images sur mes émotions et mes souvenirs de pré-adolescent. Je pense que nous sommes nombreux à considérer ce beau film sensible comme notre madeleine de Proust.

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