En 1963 Louis Malle filme Maurice Ronet dans l’adaptation pour le cinéma d’un roman du sulfureux écrivain collaborationniste Drieu La Rochelle. L’histoire que ça raconte n’est pas romanesque pour un sou ; c’est plutôt la façon de filmer un homme en mouvement qui intéresse le réalisateur, apparenté à ses débuts à la Nouvelle Vague. Louis Malle filme amoureusement le visage (dans les gros plans) et le corps (dans les plans larges et américains) d’un acteur de cinéma incandescent : Maurice Ronet. Ce dernier a 36 ans au moment du tournage (il mourra prématurément 20 ans plus tard, en 1983) et est à ce moment-là, au début des années 1960, le meilleur comédien de sa génération. Maurice Ronet était l’incarnation saisissante sur les écrans d’un naturel masculin qui n’avait pas été truqué par les convenances cosmétiques propres au cinéma et à ses artifices. À ce titre, il était inclassable.
Maurice Ronet n’a jamais été une figure populaire à la manière d’un Delon ou d’un Belmondo ; il n’a pas été non plus un comédien aristocratique à la façon d’un Rochefort ou d’un Marielle. Je le rapprocherai plutôt de Charles Denner. Tous les deux ont été des compagnons de route, assez indifférents toutefois, de la Nouvelle Vague.
La Nouvelle Vague, je ne sais pas trop bien ce que c’était. Mais je pense (bien entendu, je peux me tromper) que ni Truffaut, ni Godard, ni Molinaro, pas plus que Chabrol ou Rivette, ne savaient non plus ce que c’était. Le geste fou de filmer en liberté, en plein air, en son direct et en Noir & Blanc dans les rues de Paris, des comédiennes et des comédiens éblouissant.es de naturel, suffisait à leur bonheur. Le fil narratif de l’histoire n’avait pas grande importance. C’est pourquoi Louis Malle, en 1963, qui se voulait quand même à la marge du mouvement et de l’école malgré elle estampillée du joli nom de « Nouvelle Vague » par l’écrivaine et journaliste parisienne Françoise Giroud, regarde avec sa caméra évoluer Maurice Ronet dans les méandres d’une vie qui ne revêt plus la signification des débuts, quand il était encore un jeune type noctambule à qui tout souriait : les femmes, les amitiés masculines profondes, les alcools forts, la possibilité de vivre à New York et d’y être heureux.
Dans Le Feu Follet (1963) donc, Maurice Ronet incarne Alain, un jeune type très bien de sa personne, très séduisant, qui reprend du poil de la bête dans une maison de santé, à Versailles. On y soigne son alcoolisme mondain. Cette pénitence lui fait prendre conscience que jusqu’à présent il n’a été qu’un viveur, non pas un héritier ou un profiteur. Non, mais un dandy inconséquent. Alain noyait son angoisse existentielle dans les bras des femmes, aux comptoirs des palaces de la capitale. De conquête en conquête, ce bel homme irrésistible s’enfonce de plus en plus dans la mélancolie. Voilà pour l’anecdote narrative. Car ce n’est pas ça le plus important. Non, ce qui est sensationnel dans ce long-métrage entièrement tourné dans un sublime Noir & Blanc c’est de voir se matérialiser sous nos yeux l’exaspération des proches d’Alain, ses soi-disant ami.es qui continueraient de l’aimer à la seule condition qu’il endosse une dernière fois sa personnalité factice d’autrefois : il pourrait alors espérer coucher avec Solange, ou continuer sa relation érotique avec la belle amie américaine de son ex-femme, Dorothy, qui, elle, l’a quitté pour de bon à cause de ses dérives éthyliques.
Alain fait sienne la maxime du narrateur désenchanté d’Alfred de Musset dans La Confession d’un enfant du siècle, publié en 1836. Plus rien ne l’émeut maintenant qu’il est sobre. Un dernier tour de piste sur le lieu même de ses forfaits alcoolisés d’autrefois lui fait comprendre l’inanité de sa position et de son rang.
Ce film immense est d’une beauté fulgurante. Maurice Ronet y est impérial, en lead character qu’on ne quitte jamais des yeux. Il bouffe littéralement l’écran et incendie la pellicule de son magnétisme raffiné. Je chéris cette œuvre de Louis Malle qui illustre à merveille et sans commune mesure la beauté du cinéma français, à la fois populaire et profond, des années 1960, qui est aussi la décennie prodigieuse de la « Nouvelle Vague » que j’aime tant.














