Comment se défaire de l’emprise d’un homme ? Sous ses atours de comédie fantastique grand public Les Sorcières d’Eastwick (Warner Bros., 1987) de l’Australien George Miller, montre par l’exemple comment les femmes peuvent lutter pour mettre fin à une relation toxique. Trois amies de la même petite ville ont un rituel : chaque jeudi soir elles se retrouvent chez l’une d’entre elles pour se lamenter sur leur vie ordinaire en solo (une vient juste de divorcer, l’autre est veuve, enfin la dernière a trop d’enfants à élever). Mais surtout elles espèrent rencontrer l’homme qui les sortira de la torpeur de la vie provinciale, seulement rythmée par les kermesses, par les potins, et par les sorties à l’église. Soudain s’installe en ville un étranger, un anticonformiste qui vient de racheter un domaine de sinistre mémoire, où autrefois on y brûlait les sorcières.
Ce Daryl Van Horn a les traits de Jack Nicholson, et nos trois amies, incarnées par Cher, Susan Sarandon et Michelle Pfeiffer, vont succomber au charme ensorceleur de cet envahissant personnage. Au début, tout est rose acidulé, mais à Eastwick l’amour dure trois nuits, puis l’inquiétude prend le pas sur la félicité des débuts. L’homme se fait de plus en plus pressant, envahissant, menaçant auprès de ses trois amantes. Alors nos trois amies vont devoir réagir sans plus attendre.
En 1987, deux ans seulement après la sortie en salles de Mad Max au delà du dôme du tonnerre (Warner Bros., 1985) il était intéressant de voir le réalisateur australien aux commandes de cette adaptation du roman éponyme de John Updique, un romancier américain pas franchement grand public, plutôt étiqueté monde intello de la Côte Est universitaire. Comment allait-il se sortir des méandres du roman afin de rendre lisible, et visuelle, et accrocheuse, une narration très littéraire ? Brian de Palma a affronté les mêmes problématiques au moment de son adaptation pour le grand écran du roman de Tom Wolfe Le Bûcher des vanités (Warner Bros., 1990).
Loin des cascades motorisées filmées en plein de désert de Namibie le film repose sur la rencontre entre la star masculine de l’époque Jack Nicholson (dont les lumières jetaient leurs derniers feux) et trois actrices de cinéma dont la carrière s’envolait au firmament : Sarandon, Cher et Pfeiffer. Toutes les trois, elles étaient capables de tenir la dragée haute au cabotin Nicholson (dont le sommet de l’interprétation avait été figé à tout jamais par les caméras de Stanley Kubrick dans Shining en 1980 pour la Warner). Une séquence du film de George Miller illustre à merveille cela : quand Cher pénètre à la tombée de la nuit dans le manoir de Daryl pour sauver Sukie (le personnage de Michelle Pfeiffer) à qui il fait du mal à distance, la caméra filme en gros plan Jack Nicholson dans une longue tirade dont il a le secret (il fait son numéro d’acteur-star) pendant que le contrechamp sur Cher nous la montre impassible, faire face en toute simplicité devant cette démonstration d’acting virtuose, mais vaine en fin de compte. C’est Cher qui rend crédible la séquence, et qui préfigure le contre-pouvoir à venir de ces trois femmes puissantes, qui veulent mettre un terme à l’emprise du mâle.
Même si les effets spéciaux du film paraissent désuets aujourd’hui, cette comédie fantastique réalisée par le créateur des Mad Max se laisse revoir (ou découvrir pour la toute première fois) avec beaucoup de plaisir.