Un homme en traque un autre dans les paysages inhospitaliers (éboulements, grottes, cours d’eau indomptés, falaises abruptes) des Rocky Mountains, dans le Colorado. Au tout début du film, avec l’aide d’un vieux chercheur d’or qui n’a jamais trouvé le moindre filon exploitable, et avec le concours d’un soldat de la Cavalerie démissionnaire aux tendances sadiques et racistes, Jimmy Stewart, obsédé par sa mission jusqu’à la folie, met la main sur le fuyard Ben, lequel essayait d’échapper à son poursuivant avec une jeune femme ingénue à ses côtés.
Dans ce chef-d’œuvre absolu du premier siècle du cinéma, aucun des cinq personnages avec lesquels nous chevauchons pendant 90 minutes hypnotiques, ne semble être celui ou celle qu’il prétend être. Le cavalier démissionnaire est en fin de compte un fou furieux, et la séquence de la fusillade avec la cohorte de Cheyennes nous le prouve par l’absurde ; le traqué interprété par Robert Ryan fait bonne figure mais tout dans sa mise et dans ses modulations de voix alerte sur ses intentions (même s’il a les poignets liés pendant les 3/4 du film on sent l’air se raréfier à chaque fois que la caméra s’approche de lui) ; le traqueur, qui a les traits de ce bon Jimmy Stewart, semble être engoncé dans une obsession qui tourne au cauchemar ; le vieux chercheur d’or plein de bon sens, se révèlera au final être un candide et un nigaud de première catégorie ; reste le personnage féminin, incarné à la perfection par la meilleure actrice du monde dans les années 1950 en compagnie de Marylin Monroe (Ô Niagara/1953, Ô Rivière sans retour/1954) Janet Leigh, qui à elle seule incarnera le cinéma moderne dans le Psycho (1960) de Sir Alfred Hitchcock : la fragile blonde à cheveux courts incarne dans The Naked Spur l’esprit de bonté et de résilience. Elle a été une femme malmenée par la vie, orpheline, accrochée aux basque d’un voyou brutal (Ben) et elle prend fait et cause pour ce traqueur, Kemp, qui n’est pas même un Marshall. Il s’agit juste d’un méprisable mercenaire qui n’a pas digéré d’avoir été abandonné par sa femme au temps de la Guerre de Sécession, pour laquelle il combattait dans les Armées du Nord.
Inutile d’en dire plus. The Naked Spur (1953) abolit toutes les gloses, tous les commentaires. Ce film est redécouvert intégralement à chaque visionnage. Il est indémodable car chacune de ses images, chacun de ses dialogues, chaque intonation dans le jeu de ses acteurs et de son actrice invente un procédé. Chaque séquence de ce film est une œuvre en soi sur laquelle on peut passer des heures et des heures à interpréter, à penser, à divaguer, à créer, car tout y est pensé, ordonné, mesuré et accompli. L’Appât (le titre français est aussi un beau titre, certes moins percutant que l’original) demeure ce film immense, ce western à la splendeur inentamée, qui nous a fait aimer à tout jamais le beau et grand cinéma américain humaniste. Il s’agit aussi d’une production de la Metro, celle qu’aimaient Godard (il en parlait si bien) et Truffaut. Il s’agit surtout d’un film admirable du merveilleux Anthony Mann, ce réalisateur de films essentiels dont nous reparlerons bientôt.














