Au beau milieu d’une journée caniculaire (tiens, ça ne vous rappelle pas ce qu’on est en train de vivre, présentement ?), sur une autoroute interurbaine de Los Angeles, Bill est coincé au volant de sa voiture dans un embouteillage. Le soleil tape fort, et à l’intérieur des véhicules à l’arrêt la tension monte : Bill est en surchauffe. Chemisette blanche avec cravate d’homme d’affaires assortie, rasé de près, cheveux coupés courts et coiffés en brosse, et mâchoire carrée d’ancien US Marine, Bill ne prête pas à sourire. Car il va être en retard pour la remise du cadeau d’anniversaire à sa gamine. Et sa femme s’impatiente.
Oui mais voilà, Bill n’a pas le droit d’approcher à moins de 30 mètres de la maison de son ex-femme, sur une injonction du juge des affaires familiales. À moins que ça ne soit à moins de 300 mètres, son ex-femme ne s’en souvient pas ; mais ce qu’elle sait, en revanche, c’est que son ex-mari, qui travaille dans un bureau pour un sous-traitant de la Défense Nationale, est un fou furieux.
Et ce que le réalisateur américain Joel Schumacher nous propose dans cette Chute libre (1993), c’est d’assister en temps réel au pétage de plombs de ce Bill à bout de nerfs. Les dernières digues qui contenaient la folie latente du personnage se rompent sous le soleil écrasant de Los Angeles, et Michael Douglas délivre une performance inoubliable de plus à son tableau de chasse d’acteur américain indispensable dans les années 1990.
Des années 1970 qui le rendirent célèbre dans la série télévisée Les Rues de San Francisco, dans laquelle il est le coéquipier jeune et sexy de l’irrésistible vieux briscard Karl Malden, jusqu’au faîte des années 1990, Michael Douglas était une des 10 ou 15 superstars mâles que les studios d’Hollywood courtisaient et s’arrachaient à coup de cachets outrageusement faramineux. Mais à l’inverse d’un Harrison Ford, d’un Richard Gere, d’un Tom Berenger, ou plus tard d’un Tom Cruise, d’un Sean Penn ou d’un Bruce Willis (estampillés eighties triomphantes), l’animal se plaisait à incarner des personnages de plus en plus vicieux et viciés dans ses films, tous des succès foudroyants au box-office. Son très fort magnétisme sexuel, outré (à l’inverse de la sophistication érotique de Richard Gere dans American Gigolo par exemple), l’aidait à obtenir des rôles qui s’écartaient de la bien-pensance culturelle de l’époque. En laissant très vite tomber le costume de l’aventurier séduisant en diable Jack Colton (À la poursuite du diamant vert et Le Diamant du Nil, respectivement en 1984 et 1985), lequel vivait des aventures trépidantes en compagnie de la sublime Kathleen Turner, Michael Douglas amorçait la deuxième moitié des années 1980 en donnant chair et corps à des personnages ivres de pouvoir, d’arrogance, de bestialité non contenue, et à la sexualité débridée – pas particulièrement LGBT+ friendly ! Par exemple dans Liaison fatale (1987) d’Adrian Lyne il joue le rôle d’un éditeur séduisant, Dan Gallagher, qui a une liaison avec la très belle Alex Forrest, jouée à la merveille par Glenn Close. Ce couple de cinéma sulfureux laisse alors présager, en 1988, le tour que va prendre la carrière de l’acteur.