Leslie, une jeune femme de la bonne société du Maryland (son père est un docteur en médecine respecté et possède un élevage de chevaux), est courtisée par un rancher du Texas très bien pourvu en terres agricoles (son exploitation, une des plus immenses de l’État, compte en effet 280 000 hectares). Une fois qu’elle a épousé ce Texan Leslie devient Madame Benedict, et les époux regagnent en train l’immense propriété des Jordan, baptisée Reata. Avant de se marier Jordan Benedict vivait en célibataire en compagnie de sa sœur plus âgée, Luz, elle aussi une célibataire endurcie un peu revêche (et Guillermo del Toro saura se souvenir des complications induites par ce genre de trio dans son magnifique Crimson Peak en 2015).
Pendant que Leslie, qui a quitté les terres de la haute bourgeoisie du Maryland, s’acclimate peu à peu au climat rude et sec de cette partie du Texas, l’homme à tout faire de Luz Benedict, dénommé Jett Rink, un jeune homme assez sauvage et beau comme un dieu de l’antiquité grecque, semble de plus en plus intrigué par la jeune et jolie femme du frère de la patronne ; laquelle semble totalement déphasée au milieu des cow-boys, des ranchers pleins aux as et de leurs épouses soumises.
N’y allons pas par quatre chemins : ce film, Géant (1956), est un chef-d’œuvre absolu du cinéma classique américain des années 1950. Cette production Warner Bros., dirigée par le grand George Stevens, met en scène devant la caméra affolée deux acteurs et une actrice au magnétisme animal si puissant que chacun et chacune d’entre elle et d’entre eux vont devenir le symbole même du Star-System hollywoodien des années 1950 et 1960 : Rock Hudson, James Dean (qui se tuera malheureusement au volant de sa Porsche sur la route de Salinas, quelques jours seulement après la fin du tournage) et la Reine des actrices, la divine Queen Elizabeth Taylor. Pour une fois, après Louise Brooks et Gene Tierney, une autre brune éclipsait les blondes Marylin Monroe et Lana Turner, et les rousses Jean Harlow et Rita Hayworth.
Géant traite de sujets hautement inflammables : le racisme (car en terre texane les travailleurs agricoles d’origine mexicaine sont considérés pratiquement comme des esclaves qu’on parque dans des camps à ciel ouvert), la spoliation (à qui appartient la Terre au commencement de l’Union ? Est-ce que les territoires autrefois sécessionnistes respectent la légalité de l’État fédéral ?), la place de la femme (pourquoi une maîtresse de maison n’aurait pas le droit de discuter de politique et de finances à la table des hommes ? D’ailleurs Jordan Benedict accuse sa femme de se comporter comme une suffragette), les classes sociales (avant qu’il ne découvre du pétrole en abondance sur sa terre le jeune Jett, qui répare les voitures, aime se prélasser à l’arrière d’une Rolls-Royce pendant que les riches farmers, dont il ne fait pas encore partie, festoient au moment du barbecue).
Sous couvert de grand spectacle en Cinemascope et en Technicolor, Géant parle d’un sujet capital : le mal que font les hommes à tout ce qui les entoure, quand la richesse, la spoliation et les traditions induisent un état de fait que personne ne veut remettre en question. Seulement, quand le pétrole jaillit là où on ne l’attendait pas, tout est chamboulé, et les sentiments d’affection, eux non plus, n’échappent pas à la contagion et à la fièvre de l’or noir.
Géant est la quintessence du cinéma de George Stevens, ce réalisateur qui avait commencé dès les années 1930 dans le registre de la comédie, en compagnie de ses amis Franck Capra et Billy Wilder, et qui, après son expérience traumatisante de la découverte du camp de concentration de Dachau, qu’il filma pour l’U.S. Army, ne réalisa plus que des long-métrages qui témoignaient de ce qu’était la nature si particulière de l’être humain : un mélange, toujours mal négocié, d’effroi, de candeur et de fantaisie.